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2 février 2016 2 02 /02 /février /2016 10:04

Dernier témoignage, Courrier de Mr P. à Richard,

"Bonjour Richard,

J’ai 80 ans et je suis né en mars 1927 à Martigny entre les deux guerres mondiales du siècle dernier.

Je suis entré à l’école à la rentrée de Pâques 1933 et j’ai obtenu le certificat d’étude primaire le 12 juin 1939 toujours scolarisé dans la même école. A cette époque les filles et les garçons étaient séparés. L’école des garçons se trouvait à 500 mètres de celle des filles. Et au-dessus de mon école il y avait la Mairie.

Alors qu’on se rendait bien compte qu’une nouvelle guerre était inévitable avec l’Allemagne nazie, soutenue par l’Italie fasciste de Mussolini, elle a débuté le 3 septembre 1939.

L’Allemagne revendiquait le port polonais de Dantzig. La Pologne s’était trouvée envahie par cette armée allemande et par l’Union Soviétique qui, elle aussi, voulait s’emparer de cette malheureuse Pologne ( Partage secret de ce pays entre Hitler et Staline, les chefs des deux états).

Il faut que vous sachiez que depuis mes 7-8 ans je suis passionné d’Histoire. En effet à l’école on parlait beaucoup de guerres notamment la guerre civile d’Espagne qui a fini en 1937 ou 38. Mon voisin de classe n’avait pas les mêmes opinions que moi mais on s’entendait tout de même bien.

Si la France et l’Angleterre sont rentrées en guerre contre l’Allemagne, c’était pour riposter contre l’invasion de la Pologne.

Un an plus tôt nous avions évité cette guerre, alors que nous étions en désaccord au sujet de la Tchécoslovaquie que les Allemands voulaient posséder en partie (« accord de Munich »1938). Hitler n’a alors pas voulu tenir compte de cet accord.

De Septembre 1939 à Juin 1940, la guerre était presque inexistante car l’Angleterre et la France se cantonnaient derrière la ligne Maginot qui était soi-disant infranchissable.

Et c’était ce en quoi je croyais.

Hélas les évènements en ont décidé autrement. Et croyez-moi j’étais profondément déçu de voir les Allemands s’installer chez nous, heureux d’avoir gagné la partie.

Glorieux, ils paradaient dans nos villes. Mais cette armée allemande victorieuse et arrogante composée de jeunes allemands n’était plus la même quelques années après.

C’était plutôt pour eux la débâcle en 1944 et heureusement pour la France…

Nous avons vécu l’occupation sans trop de soucis dans nos campagnes. Je sais évidemment qu’il n’en était pas de même dans nos villes où tout le monde souffrait de faim à cause des restrictions de toutes sortes. Elles nous étaient imposées par l’occupant mais aussi par nos dirigeants, le gouvernement de Vichy. J’étais jeune et à la campagne je trouvais toujours quelque chose à manger, ce qui n’était pas le cas pour tout le monde en ville.

Mais il ne nous était pas possible de faire quoi que ce soit alors je suis devenu résistant de cœur. Que pouvions-nous faire car il n’y avait pas d’arme pour nous révolter ?

Dès le début de la guerre je suis devenu jeune paysan par obligation pour ma famille.

Moi j’aurais aimé devenir instituteur.

J’ai donc exploité une ferme à Virey de 1953 à 2007.

Pendant cette guerre j’ai été comme tout le monde privé de beaucoup de choses ; par exemples de bananes qui nous venaient d’Afrique ou bien d’oranges qui nous venaient d’Espagne. Il n’y avait qu’à Noël qu’on arrivait à recevoir une orange en cadeau.

Comme tout le monde, j’attendais avec impatience le débarquement. Dès 1942 on en parlait mais on se demandait si ça pouvait vraiment avoir lieu un jour.

Le débarquement de nos alliés tant attendu pour redevenir libre est arrivé le 6 juin ; mais de juin à août il s’est passé beaucoup de temps avant que les alliés ne réussissent à percer le front. Nous offrions des fleurs aux américains à leur passage sur les routes et eux nous offraient du chocolat, chewing-gum et d’autres choses qu’ils mangeaient au quotidien.

On n’avait pas le droit de dire du mal de l’occupant et les français étaient divisés. On avait peur des dénonciations des collaborateurs car beaucoup en souffraient. Les Allemands étaient exigeants et méchants. Contre mon gré, j’ai participé avec un cheval de la maison à un voyage pour transporter des caisses allemandes (des munitions certainement) en direction de Saint lô. Il y avait douze voitures tirées par des chevaux et nous étions cinq hommes du coin plus un prisonnier originaire d’un pays de l’Union Soviétique. On ne voyageait que la nuit et on se reposait au petit matin. Enfin on les a quitté près de Saint Lô.

Pour terminer, je pense que le général de Gaulle a bien été l’homme qu’il nous fallait pour restaurer le pays. Je veux aussi saluer la mémoire de Winston Churchill, Premier Ministre du Royaume Uni, qui n’a jamais voulu capituler face à Hitler.

Il faut aussi savoir qu’Adolf Hitler n’a jamais su ou voulu respecter ses engagements.

Nous avons un point commun, c’est que comme moi auparavant, vous habitez un petit village. Je suis donc d’accord pour entrer en relation avec vous comme parrain, afin de répondre à vos questions sur le sujet de l’Occupation.

Il m’est agréable de savoir que je pourrai vous être utile.

A bientôt."

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Projet d'animation écrit en septembre 2007 à la demande de Mr G., par l'animatrice-coordinatrice arrivée tout juste en poste à Saint Hilaire du Harcouët, et qui l'a fait vivre sur une durée d'un an et demi en collaboration avec ses deux collègues animatrices des EHPAD d'Avranches et Granville :

  • DESCRIPTION DE L’ACTION

TITRE DU PROJET : LA MÉMOIRE, SOURCE DE LIEN INTERGÉNÉRATIONNEL

ORGANISME DEMANDEUR : EHPAD de Saint Hilaire du Harcouët et Centre Hospitalier Avranches/Granville

NOM DU RESPONSABLE DU PROJET GLOBAL :

Monsieur G. (Directeur Adjoint des Centres Hospitaliers Granville, Avranches et Saint Hilaire du Harcouët)

1. OBJECTIF GÉNÉRAL :

IMPLIQUER PLUSIEURS RESIDANTS DE STRUCTURES D’ACCUEIL POUR PERSONNES ÂGÉES DANS UN PROJET QUI RECONSTRUISE DES LIENS SOCIAUX.

Réussir une action « citoyenne » où le résidant à son rôle à jouer et est nécessaire à l’autre.

Ce projet d’échange sur le thème de la période de l’ « Occupation » mobilise une classe de trente et un élèves d’une classe de BEP ... du lycée Rémi Belleau de Nogent Le Rotrou (Eure et Loire) et au minimum trente personnes résidant sur trois sites hospitaliers de la Manche gérant des structures d’accueil médicalisé pour personnes âgées dépendantes (Maisons de retraite et Services Longs séjours situés à Granville/Avranches, EHPAD de Saint Hilaire du Harcouët).

Le point commun de tous ces établissements est qu’ils sont gérés par un même Directeur, à l’initiative du Projet avec le Professeur d’Histoire- Géographie de la classe concernée.

Cet échange intergénérationnel, complémentaire à une réflexion et à un travail menés par les élèves dans leur région du Perche, s’appuie sur le témoignage des aînés qui permettra aux plus jeunes de comprendre les événements de la Seconde Guerre Mondiale en interrogeant « son parrain ou sa marraine » choisi pour l’occasion.

En amont et par visioconférence, une équipe de gériatres et psychologues sensibiliseront les enfants au « grand âge ».

Après qu’ils aient fait connaissance, au cours de l’année scolaire 2007/2008, le parrain ou la marraine racontera alors à son ou sa filleul(le) son propre récit de vie pendant les années 1939/1945.

Les échanges entre les deux publics se feront par correspondance dans un premier temps ( visioconférence, supports écrits et audio visuels (livres, films, photos) alimenteront la réflexion de chacun), puis par la programmation de deux rencontres « physiques » dont l’une sera consacrée à la visite commune d’un lieu historique situé en Normandie en lien avec le Débarquement.

2. OBJECTIFS OPÉRATIONNELS :

. Faire l’effort de se souvenir, de communiquer et donc de s’extérioriser.

. Prendre conscience de sa valeur personnelle et renforcer la confiance en soi par une valorisation de la parole individuelle.

. S’impliquer en tant qu’acteur à part entière et se sentir responsable dans l’échange.

. Renforcer ses contacts avec l’extérieur et mener une relation privilégiée faite d’écoute et de respect pour une personne d’une autre génération.

3. MÉTHODOLOGIES D’INTERVENTION

Organisation générale :

Le Directeur de l’ensemble des structures coordonnera les actions prévues sur les différents établissements et informera par courrier les différentes personnes impliquées du suivi du projet. Des rencontres entre résidants des sites seront organisées.

Le recueil des souvenirs des résidants sera programmé et réalisé par les animatrices des différentes structures d’accueil. Elles enverront à la classe les courriers des résidants qu’elles accompagnent dans le projet.

Ces animatrices, éloignées les unes des autres, s’informeront entre elles du bon déroulement simultané des actions.

Chaque intervenant peut également entrer en contact avec le professeur du lycée par mail ou par téléphone.

Calendrier prévisionnel :

Ce projet se déroulera au moins pendant l’année scolaire 2007/2008.

5 Septembre 2007

Rencontre avec Madame P., Professeur du lycée, au Centre Hospitalier d’Avranches (présentation du projet concernant le « devoir de mémoire» : la Résistance, la France Libre à Londres, le Débarquement et la vie quotidienne des Français).

Fin septembre

Début de la correspondance entre les élèves et les aînés. Courrier de sollicitation des élèves pour être parrainés.

Avant le 15 novembre

Réponse des résidants pour confirmer leur parrainage et se présenter (échange de photos pour ceux qui le désirent et séances de

visioconférences).

Début de la collecte des paroles des aînés afin de recueillir les témoignages qu’ils souhaitent apporter.

Décembre 2007-janvier-février 2008

Correspondance (retranscription des Paroles de chacun, questions-réponses affinées).

Février/mars

Journée d’accueil des élèves en Basse Normandie (Repas partagé sur les établissements).

Mai

Visite commune aux élèves et parrains/marraines d’un lieu historique rattaché à l’histoire du Débarquement. Ce site devra être accessible

aux personnes à mobilité réduite.

Rentrée scolaire 2008/09

Selon la teneur et la richesse du contenu résultant des échanges, l’édition d’un recueil écrit des témoignages pourrait être envisagé…

Outils culturels échangés :

Interview de Lucie Aubrac, ancienne résistante

Lecture de son roman autobiographique « Ils partiront dans l’ivresse »

Autres livres et témoignages du passé

Evaluations sur la participation de chaque résidant impliqué dans le projet :

. Observation de sa motivation

. Questionnement sur son ressenti (Questionnaire de satisfaction)

En conclusion :

Accepter de vivre un tel projet intergénérationnel, pour une personne âgée qui vit en institution, est un véritable défi qu’elle se lance à elle-même. Il faudra qu’elle sache s’adapter aux changements que cette rencontre avec le jeune qu’elle parrainera va apporter dans sa vie habituelle.

Dans cet échange, il faudra donc savoir donner, accepter et apprécier. Mais surtout il faudra être convaincu que l’on a toujours quelque chose à dire et à apporter à l’autre.

En outre, si nous avions des réserves sur les capacités de transmission de certains résidants, elles ont été rapidement levées et nous ont amené à reconsidérer partiellement la perception que certains professionnels pourraient avoir des personnes accompagnées. En d’autres termes, cet « exercice » éclaire d’un jour nouveau les finalités de notre accueil.

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